Collaboration opérationnelle entre cheminots et maquisards

Premiers contacts entre cheminots et maquisards

Gares comme carrefours de renseignement

Dès la fin de 1940, les gares de triage de Jeumont, Brive ou Narbonne voient circuler des informations tenues pour anodines aux yeux de la Wehrmacht : certificat de révision, bulletin de composition, feuillet de transit. Un agent d’exploitation glisse discrètement un numéro de convoi dans la doublure d’une veste destinée à un cousin « coulissant » dans les forêts du Limousin. La densité de documents administratifs générée par le trafic militaire favorise la collecte de dates, d’effectifs et de tonnages. Un simple brouillon taché rappelle parfois qu’un train de blindés attend sa machine, renseignement aussitôt recopié sur papier pelure et transmis par bicyclette au poste avancé d’un maquis cantonné près d’une voie secondaire.

Messageries clandestines et codes ferroviaires

L’administration distingue la « boîte mobile », sacoche scellée accompagnant le conducteur. À l’intérieur, des feuilles de route sont régulièrement rédigées à l’encre ferrogallique. Un poinçon introduit par un agent complice dans le coin supérieur gauche signale la présence de munitions ou de pièces détachées destinées au front de l’Est. En zone sud, des filets de pêche accrochés au fond d’un wagon couvert servent d’abri à un rouleau de microfilms. La nomenclature des signaux mécaniques prête également sa texture à la transmission : une aile horizontale maintenue plus longtemps qu’exigé au passage d’une rame correspond à l’ordre d’alerte de niveau II pour les maquis voisins.

Sabotages ferroviaires coordonnés

Techniques d’interruption de trafic

L’objectif reste la lenteur imposée à l’adversaire. Un simple toile émeri glissé sous un segment de conduite d’alimentation effrite en silence le joint de vapeur ; une pression excessive se charge d’achever l’ouvrage plusieurs kilomètres plus loin. Parallèlement, l’équipe de nuit d’un dépôt remplace par un métal plus tendre les clavettes du palonnier de frein, provoquant le serrage intempestif d’un train militaire sur une rampe raide. Ces micro‐altérations n’attirent aucun garde armé lors de la pose, mais gênent la circulation pendant des heures. Il s’agit d’un sabotage discret, signé par la maîtrise technique des ouvriers du rail et coordonné à l’aide de messages brefs transmis au maquis pour prévenir de la fenêtre d’action.

Actions dans les dépôts et ateliers

Lorsqu’un détachement allemand exige la révision express de douze Pacific 231, le chef d’atelier de Sotteville affecte des ouvriers sûrs à chaque poste. Entre deux graisseurs, un compas de hérisson rogne imperceptiblement la portée des roues motrices. Pendant ce temps, deux maquisards introduits comme ouvriers temporaires calent un tampon dans un canal de lubrification. Le lendemain, une locomotive échappe au contrôle du mécanicien sur le palier de Caen – l’arrêt se solde par trois heures d’obstruction de la radiale vers Cherbourg, créant un goulot d’étranglement sur toute la presqu’île.

cheminots et maquisards

Logistique résistante

Acheminement des armes

Des containers parachutés près du mont Mouchet rejoignent Paris grâce à un itinéraire minuté par des régulateurs complices. Une draisine de la « Voie Service » tracte innocemment une plateforme recouverte de traverses. Sous ces pièces de chêne se cache un lot de Sten, une caisse d’ampoules pour détonateurs et plusieurs milliers de cartouches calibre 9 mm. Le trajet s’effectue à vitesse réduite pour ne pas déclencher la suspicion liée aux sillons militaires prioritaires, et profite d’arrêts prolongés dans les gares locales pour laisser un groupe de résistants décharger la moitié du matériel.

Exfiltration des personnes recherchées

Un inspecteur principal rédige un bulletin modèle 1116 qui atteste de l’« urgence » liée au déplacement d’un ouvrier aiguilleur vers un atelier de réparation locomotive. L’ouvrier en question s’appelle en réalité Jakub Bauer, ancien combattant polonais traqué par la Gestapo depuis son évasion d’un oflag. Le bulletin lui assure un libre parcours ainsi qu’un repas chaud dans les cantines de gare. Le repli vers la Suisse s’oriente ensuite par les voies secondaires de la haute vallée de l’Arve, avec la complicité d’un chef de district qui neutralise provisoirement le passage à niveau 57 afin d’écarter tout contrôle.

Réseaux de communication

Télégraphie ferroviaire détournée

La ligne télégraphique BT‐BF reliant Toulouse à Montauban offre huit paires torsadées. Deux d’entre elles sont mises hors service par le gestionnaire allemand, laissant six voies. Un régleur français dérive la quatrième paire vers un coffret isolé dans un poste d’aiguillage abandonné. Grâce à une valise Morse et un commutateur commando, un opérateur de maquis adresse des messages codés sur la fenêtre horaire précédant chaque transmission officielle. La fréquence légèrement abaissée évite l’interception par les appareils de contrôle du Feldpost. Le temps de commutation n’excède pas cinquante secondes, assurant l’anonymat de l’émission.

Utilisation de la routine administrative

Les « notes internes à effets limités » circulent quotidiennement entre sections traction, équipement et exploitation. Un simple paragraphe signalant l’inventaire d’ampoules d’éclairage mentionne la série « VVF 57 ». Ce sigle correspond en réalité au code d’alerte concernant l’arrivée d’un convoi pétrolier. La multiplication des sigles, déjà abondante dans la gouvernance ferroviaire, sert de rideau au langage clandestin. Les maquisards décrochent ainsi l’information clé sur l’heure d’entrée en gare principale sans déclencher la moindre alarme chez l’occupant.

Répression et contre-mesures ennemies

Enquêtes de la sûreté allemande

L’Abwehr forme des équipes spécialisées dans la détection de « grèves rampantes ». Elles calculent le pourcentage d’irrégularités sur les lignes Névers-Orléans et Metz-Thionville. Une chute de performance supérieure à 12 % déclenche l’envoi d’inspecteurs porteurs d’ordres de fouille. Les cheminots répondent par un jeu de cache-cache réglementaire : un registre d’accidents mineurs justifie les retards, un procès-verbal d’incident affecte la locomotive incriminée à une voie de garage où l’expertise dure plus longtemps qu’exigé. Le renseignement se dilue dans une avalanche de papiers, piège administratif que l’adversaire ne maîtrise qu’imparfaitement.

Représailles et politique d’otages

L’attentat du pont de Budelière, mené conjointement par maquis et ouvriers de la PLM, provoque la saisie de vingt‐sept agents dans la région de Montluçon. La direction allemande publie une affiche annonçant qu’un contremaître sera exécuté pour chaque sabotage supplémentaire. Face à cette menace, l’Organisation Centrale Fer publie un « plan de dispersion » : les opérations lourdes se déplacent vers des zones moins surveillées, tandis que les tâches d’appui restent réparties sur l’ensemble du réseau afin de diluer la responsabilité. Cette flexibilité rend la politique d’otages moins efficace, même si le coût humain reste élevé.